Cérémonie Funèbre

Un visiteur traînait dans la bibliothèque. Il avançait lentement entre les étagères de livre, la tête inclinée sur le côté pour lire rapidement les titres des oiuvrages exposés. Il passait le regard sans prêter attention aux titres en lettres rouges sang inscrites sur les tranches. Il recherchait un autre genre de lecture... Plus poussiéreux, pourrait on dire. Il s'enfonça ainsi toujours plus profondément dans les entrailles de la bibliothèque, là où des torches tentaient du mieux possible de faire reculer les ténèbres. La lumière qui perçait les vitraux s'était depuis longtemps perdue. D'ailleurs, le visiteur songea avoir peut être descendu quelques marches au fil des pas, mais il n'aurait pu l'affirmer. Une force l'avait comme contraint à continuer à chercher, et les livres défilaient sous son regard, quand il tomba soudainement sur un livre à tranche noire. Aucun titre n'avait été inscrit sur la reliure, et bizarrement, il semblait avoir été épargné par l'accumulation de poussière. Pourtant, il était vieux, car le cuir de lma reliure était terne et que les dicretes bordures dorées qui l'ornaient avaient perdu tout éclat.

Le démon fixait la couverture tout en se déplaçant, tendit le bras dans le vide, y trouva le dossier d'une chaise. Comme par hasard, une table avait été disposée non loin, et une chandelle s'y consumait depuis assez longtemps apparament, mais une bonne réserve se trouvait à côté du support. Le démon déposa délicatement le livre sur la table, tira la chaise pour mieux s'installer, et les yeux grands ouverts d'une curiosité dévorante, il ouvrit le livre, dont le cuir de la couverture craqua en étant ouverte pour la première fois depuis des siècles.

Le livre s'ouvrit à peu prêt en son milieu, dévoilant les rondeurs d'une écriture rapide et serrée qui avait noirci les pages. Le regard du visiteur parcourut en diagonale ce qui se disait, et ses yeux s'agrandirent. Il s'arrêta sur un passage et le lut avec attention.




[...] en grinçant. Je suivais la procession, qui s'enfonçait maintenant dans les couloirs sombres de la Citadelle, ceux qui sont dans les profondeurs.

Cela me rappelle le jour où un duel avait mal fini, sur le lac gelé. La glace avait cédé sous notre poids. Nous avions tous deux coulé à pic, alourdis par le poids des armes, trop engourdis par ce froid soudain pour lutter avec efficacité contre les flots qui nous engloutissaient, et le trou de lumière par lequel nous étions tombés se rétrécissait au fur et à mesure de notre descente. Je n'aurai pas imaginé ce lac si profond, et une eau si glaciale. Qui a dit que les profondeurs sont le monde du silence? Au contraire, chaque son même lointain nous parvient avec une ampleur étonnante. Je percevais des craquements, et puis les petits bruits que faisait mon adversaire en se débattant résonnaient dans les ténèbres. Il gaspillait son énergie, tout celà ne mènerait à rien. Nous étions condamnés, il fallait se résigner à la mort, attendre qu'elle vienne nous prendre, et non gaspiller ce qui nous restait de vie à de vaines tentatives. Les bruits baissèrent en volume et en fréquance, jusqu'à ce qu'une remontée de bulles me fasse comprendre que mon adversaire avait définitivement abandonné notre duel. Ce ne fut que lorsque je vis ces bulles remonter en zigzaguant vers la surface que je ressentis soudainement l'étouffement qui me gagnait. Jusque là, je n'avais pas manqué d'air, mais cette fois, mon corps me le réclamait de plus en plus violement, m'agitant de spasmes que je tentais de réprimer. C'est alors que je senti la main glaciale de la Mort, plus glaciale encore que les eaux, comment était-ce possible. Elle m'aggripa fermement le mollet et me tira résolument vers le fond.

Mais il était plutôt malvenu de songer à ma propre mort en ce moment même. En tous les cas, les claquements des pas résonnaient et s'amplifiaient également dans ces couloirs, et il me semblait faire partie d'une immense légion avançant d'un pas déterminé vers la grande bataille, faisant claquer les bottes de cuir sur la terre sèche pour mieux impressionner l'ennemi. Qui tentions nous d'impressionner? Je n'en avais pas la moindre idée, mais moi, je l'étais bel et bien.

Je tournais légèrement la tête vers le démon qui marchait à mes côtés, gêné dans ma vision par la toile épaisse de ma capuche. Je ne pus d'ailleurs pas voir les traits de mon compagnon de route, car son visage était masqué par le même type de vêtement, et que lui gardait consciensieusement la tête inclinée vers le sol. Il semblait plutot âgé, à en juger de sa démarche, mais comment aurais je pu le vérifier? a moi, il restait une notion du temps de la vie humaine, même si la mienne avait été plutôt courte... Pour la plupart des démons, celà ne voulait rien dire. A part qu'il s'agissait à peu près du temps qui suivait la naissance d'un humain jusqu'au moment où le même être lâchait son derrière souffle, transpercé par la pointe d'une épée...

Contemplant mes pieds qui soulevaient tour à tour les pans de ma robe, je perdis toute notion du temps, me remémorant les récits de batailles que j'avais pû engranger en lisant et en écoutant les guerriers qui m'entouraient. Ils semblaient apprécier qu'un jeune démon leur en redemande toujours plus à propos de ces affronts, et au fil de la conversation, les détails se faisaient toujours plus crus, à mesure que les démons vidaient les verres.

Finalement, ma mort avait été assez spéciale. Pas une goutte de sang, pas de charnier indescriptible, pas de douleur atroce, juste le froid et quelques bruits isolés... Au sein d'une bataille, le bruit est terrible, à ce qu'on m'en a dit, mais très peu le remarquent tant ils sont absorbé dans la bataille. Tandis que moi, j'avais eu le temps de tout percevoir, oppressé par les flots comme je l'étais, accompagné dans ma chute par un seul ennemi que j'avais eu le temps de connaître et dont je connaissais la raison exacte de sa présence devant ma lame... Tandis que peu de guerriers qui combattaient dans les grandes plaines savaient vraiment pourquoi ils étaient là et pourquoi ils tranchaient la chair, tout au plus servaient ils un Seigneur, ou un vague sentiment d'appartenance à une nation. C'était noble et courageux de leur part de ne pas se poser de question avant de se sacrifier, mais moi, je m'étais juré que si je me lançais un jour dans une bataille, je saurais pourquoi je le ferais.

Pour l'instant, je me contentais de suivre mes frères dans les entrailles de la construction. L'un d'entre nous entonna un chant funèbre, et bientôt tous suivirent. Je restais silencieux et me contentais d'écouter, toujours. Toute tentative d'émettre moi même un son se serait de toute façon avérée infructueuse, alors je me contentais de m'imprégner de l'atmosphère qui empoignait les êtres présents et les portait vers la fin du couloir. Je me sentais complètement subjugué par le chant...

Nous débouchâmes dans une petite pièce rectangulaire et bas de plafond, éclairée par les torches qui projetaient nos ombres inquiétantes de tous côtés. L'une d'elle devait avoir été mal préparée, car elle émettait une fumée noire qui déposait de la suie sur le mur et emplissait l'air en le rendant étouffant. Une cage noire attira mon attention, et je découvris qu'elle contenait toujours le squelette d'un homme qui avait dû trouver le temps long. Les autres n'y portèrent pas attention, sans doute avaient ils l'assurance que celui ci ne parlerait plus.

Puis plusieurs autres cages m'apparurent, et enfin, adossé à un mur, un cercueil brun. Je déchiffrais les initiales gravées dans une plaque de métal. "CG". *Tiens, remarquais-je avec indifférence, il portait les mêmes initiales que moi...*